Enfant du Sud-Ouest, Cédric Soulette a grandi sur un terrain de rugby jusqu’à devenir un pilier émérite du XV de France et marquer les mémoires d’un « coup de tête » lors de la demi-finale de la Coupe du monde de 1999 contre les All Blacks. L’ancien international consacre aujourd’hui sa deuxième vie à l’art et a choisi le coq -toujours- pour figure de proue de son entreprise. A quelques mois de la prochaine Coupe du monde de rugby, il nous confie son désir toujours ardent de défendre l’identité française.
Vous êtes né à Béziers. Jouer au rugby, était-ce réellement un choix ?
Cédric Soulette : Non, pas vraiment, c’était plutôt par dépit. Comme beaucoup d’adolescents, j’ai fait beaucoup de sport. J’ai commencé par le judo, ce qui m’a aidé d’un point de vue psychomoteur, mais je n’y prenais pas de plaisir immédiat. Au village, j’ai fait aussi du foot pendant deux ans, mais j’ai marqué deux fois contre mon équipe et on m’a demandé alors d’aller voir du côté du club de rugby.
L’aventure du rugby se joue le premier jour. J’avais 13 ans, l’entraîneur, M. Hugon, m’a dit tout simplement : comment tu t’appelles ? J’ai répondu : Cédric. Et il a lancé à la cantonade : eh bien, faîtes comme Cédric ! Je me suis senti valorisé. C’est important pour se construire à la pré-adolescence et cela génère une belle énergie.
Vous avez joué pendant 15 ans dans trois clubs prestigieux que sont Béziers, Toulouse et Clermont-Ferrand et 13 fois en équipe de France. Un beau palmarès ! Quels souvenirs en gardez-vous ?
C.S : J’ai joué dans toutes les toutes catégories en équipe de France depuis mes débuts en junior jusqu’à la grande équipe de France. Je dois tant au ballon ovale et à tout ce qui conditionne ce jeu. De mon expérience de cette époque, qui n’a rien à voir avec celle que vivent les joueurs d’aujourd’hui, je garde le souvenir de l’amateurisme, de la disponibilité des gens pour que cette discipline fonctionne, de la richesse de la diversité sociale des joueurs que nous étions et de nos échanges. J’ai vécu la double transition de l’amateurisme au semi-professionnalisme et du semi-professionnalisme au professionnalisme. Dans les équipes, il y avait alors aussi bien des banquiers que des maçons. Aujourd’hui, les joueurs sont plus protégés et adulés. Comme une élite. On les regarde derrière une barrière.
« Cela m’a permis de réfléchir à ce que je voulais vraiment et à me protéger pour ne pas oublier qui je suis. »
Etes-vous nostalgique de votre époque ?
C.S. : Non, j’ai vécu les trois phases, car j’ai eu aussi droit à l’adulation. Cela m’a permis de réfléchir à ce que je voulais vraiment et à me protéger pour ne pas oublier qui je suis.
Les Français ont le souvenir de votre «coup de tête» pour neutraliser le n°7 des All Blacks lors de la victoire des Bleus en demi-finale de la Coupe du monde en 1999… Et vous ?
C.S. : C’est vrai que nous avons vécu un moment en communion avec les passionnés du rugby. Le peuple français a classé ce match dans les matchs de légende, mais moi, je retiens que nous avons perdu en finale. Comme beaucoup de sportifs de haut niveau, j’ai pris l’habitude de regarder ce que je manque. Une compétition se gère émotionnellement au-delà de la victoire en demi-finale. Et le conditionnement mental doit nous pousser vers l’objectif qui suit. Nous nous sommes un peu endormis après la victoire en demi-finale. C’est une leçon. Alors, de mon côté, je retiens plutôt notre victoire en Grand Chelem en 1998. Une compétition menée avec un état d’esprit constant de détermination et de cohésion.
Le coup de tête, c’est sympa, mais c’est un détail. Dans un sport collectif, on doit être plus sur la performance du groupe que sur une action de jeu.
En 2005, votre carrière de sportif de haut niveau prend fin et vous commencez une deuxième vie dans le domaine de l’art. Qu’est-ce qui vous a motivé dans ce virage ?
C.S. : J’étais dans une curiosité précoce. J’ai aimé très jeune la matière, les artistes… Et j’aimais dessiner. J’ai très tôt acheté des pièces originales, des tableaux… Ce virage, je l’ai anticipé. J’avais le souhait d’aller vers l’art quand je jouais encore au rugby. Je dessinais quand je m’ennuyais en fin de soirée et j’offrais mes dessins. J’avais besoin de m’évader plutôt que de bâiller.
Quand avez-vous créé votre entreprise Stan’art ?
C.S. : Quand je jouais encore, pour facturer mes droits à l’image. « Stan » est le sobriquet qu’on m’avait donné avec affection dans l’équipe. Et puis, c’est devenu quelque chose de sérieux.
En tant que joueur, j’étais très investi dans l’associatif dédié aux enfants malades. Mais quand j’ai arrêté le rugby à haut niveau, je ne me suis plus senti crédible auprès des enfants, eux qui sont tellement dans le présent ; je ne voulais pas seulement leur parler de qui j’étais avant. Alors, j’ai plutôt choisi de mener mon entreprise en y associant une action associative. Je verse donc de l’argent à des associations.
Vous préférez donc vous concentrer sur le présent ?
C.S. : Oui, la vie d’un sportif de haut niveau, c’est une remise en question constante, il ne faut pas s’endormir. Et pour faire une création, il faut travailler et sans cesse se renouveler. Parfois, cela n’est pas facile, parce que mes idées n’avancent pas aussi vite que je le voudrais. Mais quand j’arrive à mettre sur la table ce que je veux, après souvent des mois de travail et de doutes, j’en tire une réelle satisfaction.
Quelle est la mission de Stan’Art ?
C.S. : Pour les initiés, aujourd’hui, Soulette, c’est le coq, et j’en suis heureux. J’ai en effet créé un coq qui peut être fabriqué dans toutes les matières et se décliner à mon envie et celle d’autres artistes quand je le leur confie. Au service des entreprises et des institutions. C’est une façon pour moi de défendre l’identité française. Parce que mon grand-père a été déporté, parce que j’ai joué en équipe de France, parce que j’ai eu un coq sur le maillot, parce que nous devons être fiers de nos couleurs… C’est mon coq, c’est moi qui l’ai créé. Je travaille aussi beaucoup sur le monde du vin, sur les grappes de raisin, et sur les enclumes, en hommage au poste de pilier que j’avais. J’étais une tête d’enclume dans l’équipe.
A quoi rêvez-vous aujourd’hui ?
C.S. : J’ai créé 14 000 coqs ! Mais pour cela, je n’ai pu compter que sur ma volonté. Car, quand on passe de pilier à la création artistique, ce n’est vraiment pas facile. Aujourd’hui, à 51 ans, je n’ai plus envie de courir la planète pour solliciter les uns et les autres. J’ai besoin d’apaisement et d’avancer en choisissant mon temps de travail. Pour que mes dernières années d’activité deviennent un héritage. J’ai beaucoup appris sur moi et sur les autres et je souhaite me démarquer de ce que j’étais hier pour m’améliorer. La vie est là, fragile, mais elle est là. J’éviterai donc de me mettre la rate au court-bouillon.
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Interview réalisé par Carine HAHN.