Si les êtres humains gardent leurs habitudes alimentaires actuelles et croissent, comme les prévisions démographiques le laissent présager, leur avenir et celui de la Terre s’en trouveront en péril, selon différents experts (1). Mais il est encore temps d’agir pour une assiette plus durable et plus équitable.
Pour faire converger les enjeux de santé et d’environnement, le consensus scientifique actuel est notamment d’aller vers une alimentation durable. Soit une alimentation qui permet de nourrir correctement tous les êtres humains, sûre et nutritionnellement adéquate, respectueuse de l’environnement, acceptable culturellement, équitable et accessible économiquement, selon la FAO (2), précise Nicole Darmon, directrice de recherche à l’INRAE (3) et experte en nutrition. C’est dire si la barre est haute.
Inquiétudes pour la sécurité alimentaire
D’après l’ONU, d’ici 2050, la Terre devra nourrir près de 10 milliards de personnes, ce qui équivaut à deux milliards de plus qu’aujourd’hui. La production agricole pourrait donc encore s’intensifier et impacter davantage l’environnement et le climat en plein changement. Cultures et élevages favorisent déjà, en effet, la surconsommation d’eau pour l’irrigation, la pollution des sols et des eaux, la déforestation, la dégradation des écosystèmes, mais aussi les rejets de gaz à effets de serre. Dans un rapport publié en 2019, le GIEC (4) souligne que la production alimentaire est responsable, à elle seule, d’environ 21 à 37% des émissions totales de ces gaz. « Il faudrait les diviser par quatre, pose l’épidémiologiste Emmanuelle Kesse-Guyot, directrice de recherche à l’Inrae. Sans quoi, l’être humain ne pourrait plus que s’alimenter et encore. Plus question pour lui, de se chauffer ou de se déplacer. » La sécurité alimentaire, à savoir la capacité à nourrir tout le monde suffisamment et correctement, serait alors remise en question.
« Nous pouvons changer le contenu de nos assiettes afin de nous garantir une bonne santé et de limiter les impacts négatifs sur notre environnement. »
Inadaptés à une alimentation pléthorique
Autre problème : facteur déterminant pour la santé des populations, l’alimentation est à l’origine d’une véritable pandémie d’obésité et de malnutrition, principalement dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Selon l’ONU, près de 50% de la population mondiale est mal nourrie ; deux milliards de personnes surconsomment des aliments riches en sucre et en graisse et deux milliards sont sous-alimentés.
« En 2000, nous avons pris conscience de la nécessité de mieux nous alimenter et de préserver l’environnement et sommes entrés dans notre cinquième transition alimentaire (5), explique David Val-Laillet, directeur de recherche en neurosciences comportementales et nutrition à l’Inrae. Et de poursuivre : « Nous sommes inadaptés à l’alimentation pléthorique. Notre plaisir prévaut au-delà de nos besoins. » Et tout commence très jeune. « Essentielle pendant la période périnatale de 1000 jours (de la conception à l’âge de deux ans), l’alimentation peut programmer une personne de façon délétère et à vie. Nous voyons d’ailleurs, aujourd’hui, tous les effets de la consommation de produits industriels. Nos études prouvent que l’environnement alimentaire crée l’obésité et l’entretient. Et cela est sans compter les effets de la sédentarité, due aux écrans, sur le poids et la santé. »
« Manger « durable » en 2050 impose des choix individuels et politiques… dès aujourd’hui. »
Moins de malbouffe et de viande : une nécessité
Reste que la manière dont nous produisons pour nous nourrir et dont nous nous alimentons sont des facteurs modifiables. Nous pouvons changer le contenu de nos assiettes afin de nous garantir une bonne santé et de limiter les impacts négatifs sur notre environnement. A quoi pourraient-elles ressembler en 2050 ? Tous les spécialistes de la nutrition en conviennent : elles ne seront pas faites de gélules. Car manger est aussi affaire de culture, de pratiques sociales et de plaisir. Pour évoluer vers une alimentation durable, il s’agirait avant tout d’imaginer des assiettes où n’apparaîtraient plus de produits gras, sucrés, salés et des aliments ultra-transformés issus de l’industrie agroalimentaire (plats préparés, sodas, barres chocolatées…), qui contiennent des additifs pour améliorer leur saveur, leur texture et/ou leur apparence (mais aussi encore souvent de l’huile de palme, symbole d’une planète menacée) et participent à la montée des diabètes, cancers et autres maladies cardio-vasculaires.
« Nous restons des omnivores, rappelle Nicole Darmon. Nous avons vraiment besoin de manger de tout. Mais surtout beaucoup de fruits et de légumes, et moins de produits sucrés et de viande rouge. » Selon une étude du Crédoc en 2018, la consommation de viande a baissé de 12% en dix ans. Une évolution qui s’explique par les discours environnementaux et de santé. La production de viande rouge s’avère, en effet, l’une des activités agricoles les plus polluantes : d’après la FAO, l’élevage émet 14,5% des gaz à effets de serre liés aux activités humaines, dont plus de 60% sont dus à la production de bœuf. Nicole Darmon ajoute qu’« il nous faut aussi plus de féculents, de légumineuses et de produits céréaliers complets. » Car ces aliments permettent un apport satisfaisant en fibres qui favorisent le transit intestinal, aident au contrôle des taux de sucre et de cholestérol sanguins et donc à la prévention de l’obésité et du diabète.
100% bio ?
La chercheuse souligne : «Le manque d’information sur l’alimentation durable a permis à d’autres tendances de s’installer sur le marché, comme le bio ou le local. Toutefois, nous ne sommes pas obligés de manger cher, bio ou local, pour manger équilibré.» Pour manger équilibré, oui, mais pour protéger la planète ?
Pour notre santé et celle de la Terre, l’agriculture bio apparaît comme une piste très positive : elle ne fait pas appel aux pesticides et ses produits commencent à montrer leurs bénéfices pour la santé. Le hic est qu’elle produit entre 8 et 25% moins que l’agriculture conventionnelle. Pour manger 100% bio, il faudrait augmenter sa part dans les terres cultivées… et donc accroître la déforestation. Dès lors, opter pour une assiette 100% végétale supposera, pour préserver l’environnement, consommer davantage de fruits et de légumes de saison, qui ne sont pas cultivés en serres, et d’aliments de producteurs locaux, qui ne sont pas transportés sur une longue distance. Manger «durable» en 2050 impose ainsi des choix individuels et politiques…dès aujourd’hui. «S’il y a réduction des importations, conclut Emmanuelle Kesse-Guyot, il faut décider de ce que l’on plante et pour qui. Les animaux ou les hommes ?»
(1) Rapport d’un collectif de 37 experts de 16 pays, coréalisé par la revue médicale The Lancet et l’ONG Fondation EAT, 2019.
(2) Food and Agriculture Organisation of the United Nations (en français : Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture).
(3) Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, issu de la fusion de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) et de l’Institut national de recherche en sciences et technologie pour l’environnement et l’agriculture (Irstea).
(4) Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
(5) L’espèce hnnu quatre transitions alimentaires : une, il y a plus de 500 000 ans, avec la maîtrise du feu ; une, il y a 12 000 ans, avec le développement de l’agriculture et de l’élevage ; une autre, vers 3500 avant notre ère, avec l’apparition des cités-Etats et de la division du travail ; et, une quatrième, au XXème siècle, avec la révolution industrielle.
François Mariotti, professeur de Nutrition
« La végétalisation est une lame de fond »
Professeur de nutrition à AgroParisTech, François Mariotti explique le nécessaire passage au vert de nos assiettes pour préserver santé des populations et environnement… mais un vert à fort apport en sources protéiques naturelles.
Devenir tous végétariens, est-ce une solution ?
François Mariotti : Le végétarisme est une position radicale qui se respecte. Il est basé sur le principe d’un régime qui exclut certains aliments telle la viande. Il sera très difficile d’aller jusqu’à un végétarisme général car nous vivons aussi selon des critères sociaux-culturels. Pourtant, réduire notre consommation de viande est une révolution qu’il nous faut mener dans un objectif de durabilité.
Quelle est la tendance actuelle en France ?
F.M : Il ne semble pas qu’il y ait bien plus de végétariens qu’il y a dix ans et en tout cas il y en a quatre fois moins que dans les pays anglosaxons. En revanche, la consommation de produits «végétariens» augmente. Preuve que les Français sont plus éveillés à leur santé et au bien-être et tendent à réduire leur consommation de viande. Pour la remplacer, ils ont maintenant recours à une offre facile d’accès au supermarché à base de soja, par exemple. Le régime flexitarien est le plus courant : la personne ne consomme de la viande qu’une fois par semaine en moyenne à certaines occasions, comme au restaurant. La végétalisation est une lame de fond. Elle va croître encore, portée par les jeunes générations.
« Réduire notre consommation de viande est une révolution qu’il nous faut mener dans un objectif de durabilité. »
Si être végétarien ou végane apparaît a priori moins nocif pour la planète, est-ce bon pour notre santé ?
F.M : L’adulte qui ne mange pas de viande et de poisson peut manquer de zinc et/ou de fer -des carences qui peuvent se corriger rapidement- mais les végétariens ont aussi moins de risques de cancer et de maladie cardiovasculaire sur le long terme. En revanche, le végétalien ou végane ne mange rien en provenance de l’animal. Il a donc des apports généralement insuffisants en d’autres nutriments comme la vitamine B12, le calcium et l’iode. Il a impérativement besoin d’une supplémentation en vitamine B12 pour éviter une maladie carentielle.
Quelle solution alimentaire préconisez-vous ?
F.M : La tendance est à diminuer la consommation de viande de ruminants, ce qui ajoute les avantages santé aux avantages environnementaux, et donc d’aller vers la végétalisation de notre alimentation, mais en veillant à l’apport en sources protéiques, et plus particulièrement en sources protéiques riches en protéines pour les personnes fragiles âgées de plus de 65 ans. Manger plus de produits céréaliers complets, plus de légumineuses, plus de fruits à coques et de graines, qui nous apportent des protéines alternatives, végétales naturelles, avec un ensemble de nutriments favorables à la santé. Il s’agit aussi de prendre le temps de choisir nos produits, de regarder la liste des ingrédients qui les composent et de cuisiner ce que nous mangeons. Car, si on achète une galette végétale pour remplacer une portion de steak, encore faut-il qu’elle ne soit pas plus riche en lipides, en sel et en sucres et moins riche en nutriments intéressants. Même chose pour certains desserts lactés au soja, souvent plus sucrés qu’un simple yaourt nature.
Repères clés* d’une alimentation équilibrée
Fruits et légumes
Au moins cinq portions de 80 à 100g par jour, quel que soit le mode de préparation (crus, cuits, frais, surgelés ou en conserve). Limiter la consommation sous forme de jus de fruits et de fruits secs.
Fruits à coque sans sel ajouté (amandes, noix, noisettes, pistaches…)
Une petite poignée par jour pour les personnes ne présentant pas d’allergie à ces aliments.
Légumineuses (lentilles, fèves, pois chiches, haricots secs…)
Au moins deux fois par semaine. Elles représentent d’excellentes sources de fibres et de protéines, pouvant aider à limiter les apports de viande.
Produits céréaliers
Tous les jours, en privilégiant les produits complets et peu raffinés (riz, pâtes ou pain complets…)
Produits laitiers
Deux portions par jour. Une portion correspond à 150 ml de lait, 125 g de yahourt ou 30 g de fromage.
Viande
Privilégier la volaille et limiter la consommation de viande rouge (bœuf, porc, veau, mouton, chèvre, cheval, sanglier, biche) à 500 g par semaine.
Poissons et fruits de mer
Deux portions par semaine, dont une de poisson gras (sardine, maquereau, thon, saumon).Varier les espèces et lieux d’approvisionnement pour limiter l’exposition aux contaminants.
Charcuterie
Limiter la consommation à 150g par semaine maximum.
Matières grasses ajoutées
A limiter. Privilégier les matières grasses végétales, et notamment l’huile de colza, de noix et d’olive..
Produits sucrés
A limiter. En particulier les produits à la fois sucrés et gras, comme de nombreuses « céréales de petit-déjeuner » ou desserts (pâtisseries, desserts lactés, crèmes glacées).
Boisson
Favoriser l’eau et limiter les boissons sucrées ou édulcorées, ainsi que l’alcool. Le thé, le café et les infusions peuvent contribuer à l’apport en eau s’ils ne sont pas sucrés.
Sel
A réduire. Attention au sel « caché » dans le pain, les plats préparés, les charcuteries, les biscuits apéritifs… Concernant le sel « ajouté », mieux vaut privilégier le sel iodé.
Activité physique
Au moins 30 minutes par jour, cinq jours par semaine. Il est recommandé de pratiquer différents types d’activité physique pour développer l’endurance, le renforcement musculaire, la souplesse et l’équilibre.
*Source : Haut Conseil de la Santé Publique
Un dossier réalisé par Carine Hahn.
Graphisme réalisé par Louise Yviquel.