Jimmy Pagneux, l’appétit de vivre en jouant

12 mars 2024
JIMMY PAGNEUX L’APPÉTIT DE VIVRE EN JOUANT

Jimmy Pagneux est comédien. Né à Castres dans une famille modeste, nombreuse et aimante, cet aîné d’une fratrie de huit enfants a découvert le monde dans les livres et s’est inspiré de ses super-héros pour trouver peu à peu son rôle dans la vie et sur scène. En avril prochain, à Toulouse, il présentera sur grand écran la série qu’il a écrite, réalisée et dont il est le héros. Avant de lui faire traverser l’Atlantique. Rencontre avec un éternel enfant responsable.

Qui rêviez-vous d’être quand vous étiez enfant ?

Jimmy Pagneux : Un personnage, un acteur, un héros. C’est le fil rouge de ma carrière. Quand j’ai huit ans, c’est Norrin Radd alias Silver surfer, le surfeur d’argent, un super-héros Marvel. Pour sauver sa planète, il fait un marché avec Galactus qui veut la manger. Il garantit à cet extra-terrestre de lui trouver des planètes pour qu’il puisse se nourrir de leur énergie. Mais il accepte aussi de ne plus voir la femme qu’il aime pour qu’elle soit épargnée. Je trouvais génial qu’il puisse glisser de planète en planète avec son surf d’argent en combinaison assortie. Il découvrait de nouvelles populations et n’avait plus besoin de se nourrir. Il faut dire qu’à cette époque déjà, mon père me disait que je vivais pour manger ! Plus tard, à l’adolescence, j’ai découvert l’acteur Denzel Washington dans un film et j’ai dit à mon père que je voulais être lui.

Comment définissez-vous vos origines ?

J.P : Mon père est Guadeloupéen et ma mère est née à Madagascar de parents réunionnais. Mon père était éboueur, ma mère faisait des ménages et puis, elle nous a élevés. Nous sommes huit enfants et je suis l’aîné, le responsable. Je pense que si je suis là, c’est parce que mon père était éboueur. Il récupérait les sacs poubelle de livres et ils les vidaient dans ma chambre, sans les trier. Ce qui fait que j’ai lu de tout, même des Harlequin. Je m’évadais comme ça. J’ai fait mille fois le tour de la Terre en lisant. Entre autres avec le Tour du monde en 80 jours de Jules Verne. Phileas Fogg était aussi mon héros parce qu’il est pragmatique et qu’il a le pouvoir de cacher ce qu’il pense. Pendant tout un temps, j’ai joué avec ce pouvoir. Je travaillais mon impassibilité et je sais que cela agaçait mon père, lui qui avait l’habitude de nous cerner très vite. Et puis, j’en usais aussi à l’extérieur de ce pouvoir, à l’école… Par jeu. Parce que j’étais riche d’expériences acquises par les livres.

Vous avez le goût des mots et du jeu…

J.P : Oui. Je suis un enfant. Le jeu est un des axes principaux de ma vie. La vie est très dure aujourd’hui, les gens souffrent et le jeu est pour moi un moyen d’adoucir les choses. Comme l’humour que j’ai toujours utilisé pour faire rire mes frères et soeurs et mes camarades de classe. Mes parents avaient une autorité forte et il me fallait sortir du lot. Je me testais à l’école pour vaincre ma timidité. Prendre la parole en public n’était pas un souci pour moi. J’osais, même si j’avais un petit trac au début. Celui que j’appelle aujourd’hui le trac du perfectionniste. D’ailleurs, la première chose que je dis à mes élèves en théâtre, c’est de ne surtout pas se débarrasser du trac. Il peut donner de l’intensité et montrer que la personne est bien ancrée dans le présent. Certains sont à l’aise, c’est super. Mais celui qui a le coeur qui bat a aussi le droit de prendre la parole.

Quel a été votre parcours de formation ?

J.P : Après mon bac de compta et mes études en force de vente, j’ai été VRP comme on disait. J’étais un excellent vendeur d’encyclopédies Hachette parce que j’avais beaucoup fantasmé sur elles au CDI du collège. J’y croyais. Mes formateurs me trouvaient super, mais ils me disaient que j’attendais que les clients lèvent le doigt pour savoir comment ils pouvaient acheter le produit. C’était une scène pour moi, la vente. Jusqu’au jour où j’ai compris qu’Hachette faisait son business sur les crédits que prenaient les clients pour se permettre d’acheter. Cela a été ma limite. Je me suis alors retrouvé vendeur à La grande récré. J’y ai été heureux, je testais les nouveaux jeux et je créais du lien avec les clients, qui décidaient sciemment de faire un achat.

« Avec lui (NDRL : René Gouzenne), j’ai été formé à l’ancienne. C’était militaire, direct, juste. Il était sincère. »

Quand vous tournez-vous vraiment vers la scène théâtrale ?

J.P : Vers 20 ans, j’ai été repéré par le metteur en scène Gilles Ramade qui trouvait que j’avais quelque chose de Harpo des Marx Brothers. Le côté espiègle, l’œil qui brille sans doute. Il me disait : tu n’as pas besoin de parler. Alors que je parle beaucoup. Dans son spectacle lyrique Night in the opera, j’ai réussi à sortir mon épingle du jeu sans dire un seul mot, mais je ne me sentais pas légitime. Alors j’ai fait un stage de mime avec Laura Hertz, qui a été révélateur et marquant. J’ai ensuite passé une audition avec René Gouzenne à La cave poésie, à Toulouse. Il m’a testé dans le rôle du Dr Knock que j’avais préparé et il m’a choisi. Même si avec mon look fashy et mon cheveu blond décoloré d’alors, je n’avais rien de commun avec son univers. Je ne savais même pas qu’il avait été l’élève de Jean Vilar et qu’il avait connu Louis Jouvet.

Le comédien et metteur en scène René Gouzenne
(collection personnelle de Jimmy Pagneux)

Avec lui, j’ai été formé à l’ancienne. C’était militaire, direct, juste. Il était sincère. C’est ce que je voulais. Il a vu que j’avais été bien éduqué et que j’avais un but. J’ai tout appris avec lui, la nécessité d’être ancré dans le moment, d’être juste. Quand je suis sorti de chez Gouzenne, j’avais tout. Et il m’a dit que je ne serais pas reconnu avant 20 ou 25 ans à cause de ma liberté…

La scène est-elle une autorisation à être pour vous ?

J.P : C’est un espace de liberté, on peut tout y faire. On devrait pouvoir tout y faire. Encore plus aujourd’hui qu’avant. Mais il faudrait avertir le public sur l’âge de ceux qui peuvent assister au spectacle. C’est important. Un artiste est responsable de ce qu’il fait sur scène. Je suis protecteur dans ma famille, suppléant de mes parents, je suis l’aîné.

Vous avez été mannequin, vous avez fait de la pub…

J.P : J’étais modèle pour des photos, des pubs pour des catalogues, des défilés pour des bijoux et des vêtements… Parce que j’avais une aisance sur scène. Mais je ne supportais pas certains regards qui se posaient sur moi, certains compliments…

Avec son professeur et mentor, François Berléand.

« François Berléand recommande d’aller dans une gare pour observer les gens, pour voir l’intensité en action, leur justesse. Le comédien s’ancre par le travail. »

… Et vous avez aussi fait de la télé…

J.P : J’ai beaucoup travaillé avec les agences de communication, d’événementiel pour intervenir dans des entreprises… Un jour, j’ai été recommandé pour présenter l’émission Flash conso sur France 3 Midi-Pyrénées. Et alors que je ne me sentais pas légitime, j’ai réussi à convaincre de rafraîchir le contenu de l’émission et sa présentation. Cela devait durer trois mois et cela a duré cinq ans. Ça a changé ma vie d’artiste, ma vie. Les téléspectateurs aimaient ce que je faisais. On me reconnaissait dans la rue et j’étais rassuré financièrement. J’étais intermittent, mais j’avais un revenu régulier. Tout roulait et dans mes castings de théâtre, cela a commencé à changer aussi. Parce qu’en présentant cette émission, j’avais aussi rassuré ma prise de parole. D’ailleurs, François Berléand recommande d’aller dans une gare pour observer les gens, pour voir l’intensité en action, leur justesse. Le comédien s’ancre par le travail. Moi, ma prestation s’appuyait sur le travail, une intervention préparée, une mise en scène, un texte, dans un objectif de représentation. J’ai connu le cœur qui bat très vite…

Présenter l’émission Flash conso sur France 3 a changé
la vie d’artiste de Jimmy Pagneux.

En jouant, cherchez-vous à emporter le public ?

J.P : Non, j’oublie le public. Je veux le respecter en ne jouant pas pour lui. Je déteste la séduction sur scène. Quand je vais voir quelqu’un sur scène, je ne vais pas voir quelqu’un qui est là pour me séduire. Je viens assister à quelque chose d’authentique, voir des comédiens, des humains, qui sont ensemble et solidaires… C’est sans doute pour cela que j’ai toujours refusé de faire un seul-en-scène. Je travaille dur pour continuer à jouer. Quand je joue au théâtre, je veux proposer de l’authentique.

Pourquoi avez-vous voulu monter Petits crimes conjugaux, la pièce d’Eric-Emmanuel Schmidt ?

J.P : Depuis plus de 15 ans, cette pièce ne quitte jamais mon chevet. Je les lue cent fois. Elle dit toute l’importance dans le couple de prendre soin de l’autre. L’amour, le couple, c’est tellement précieux que cela n’est jamais gagné. C’est une attention de chaque instant.

Jimmy Pagneux aime s’imprégner
de l’expérience du grand comédien.

Vous vous êtes donné les moyens d’obtenir les droits de cette pièce, de la mettre en scène et de la jouer. Vous êtes devenu un chef d’entreprise…

J.P : Je ne voulais pas la mettre en scène. Même si j’ai été formé à la mise en scène par René Gouzenne et amélioré au théâtre et au cinéma par François Berléand, mais j’ai essayé plusieurs metteurs-en-scène qui voulaient laisser leur patte et moi, je voulais qu’elle soit au service de l’auteur et de son texte. Alors je l’ai mise en scène. La pièce raconte la vie d’un couple et le public sait ce qu’est un couple, alors il faut que le couple qui joue soit crédible. Juste. Mais nous ne sommes que des outils, comme disait aussi Gouzenne. Alors je rappelle toujours à mes comédiennes que la première distribution de cette pièce a été Charlotte Rampling et Bernard Giraudeau ! Quel couple ! J’ai fait une mise en scène et des placements très simples. Le couple de comédiens mûrit sur scène et je dis à la comédienne qui joue avec moi d’amener peu à peu son essence, son vécu de femme…

« Quand je joue au théâtre, je veux proposer de l’authentique. »

1. Sur scène dans la pièce « Petits crimes conjugaux »
d’Éric-Emmanuel Schmitt
2. Rencontre avec le public après la représentation.

L’auteur a mis très peu d’indications sur le profil des deux personnages…

J.P : Oui, très peu. Quand je l’ai rencontré, Eric-Emmanuel Schmidt m’a regardé et il m’a dit : je suis curieux de voir. Pourquoi maintenant ? a-t-il ajouté. Ce à quoi j’ai répondu : parce que je sais maintenant ce que c’est d’aimer, d’être amoureux… Quand nous la jouons et que le théâtre est plein, je garde toujours à l’esprit que c’est avant tout pour Eric-Emmanuel Schmidt que le public est venu.

« Le travail me rassure dans ma légitimité. Le fait que je respecte les autres aussi. »

L’affiche officielle de sa série télé
Othello-Special agent & shadowman

Voyez-vous votre parcours comme un parcours difficile ? Un parcours de combattant ?

J.P : Je ne le trouve pas difficile et pas celui d’un combattant. Parce que je connais de vrais combattants, mes parents, par exemple. Il y a des difficultés, oui, mais c’est ce qui permet d’être poussés dans ses retranchements. C’est ce qui fait de moi un meilleur artiste. Le travail me rassure dans ma légitimité. Le fait que je respecte les autres aussi. Plus je travaille, plus je suis libre ensuite de circuler dans les mots, le jeu, plus je peux m’amuser. Moins je travaille, moins je me régale.

Cela n’a pas été trop dur, les vaches maigres ?

J.P : Toutes les histoires qu’on aime sont des catastrophes dont on s’est sorties. En ayant lu beaucoup de livres, je savais qu’une belle histoire passe par des hauts et des bas. Les bas n’ont jamais été des découragements. Je me disais : tu as envie ou pas ? J’ai douté, bien sûr. Il y a cinq ans, je me suis même demandé si j’avais raison de m’obstiner. Et en même temps, cela fait 30 ans que je suis dans le même corps de métier et que j’en vis. Alors j’en ai conclu que j’avais réussi !

C’est quoi réussir pour vous ?

J.P : Jouer un film d’action avec Denzel Washington. Sans doute parce que je l’ai vu jouer un avocat. Un métier dont j’ai rêvé aussi avant de découvrir que pour l’être, il fallait accepter de défendre des méchants. A l’époque, mon père m’a dit : je n’ai pas fait tout ça pour que tu finisses acteur !

Que diriez-vous de vous à quelqu’un qui ne vous connaît pas ? Que vous êtes un guerrier dans l’âme ? Un égocentrique qui se contrôle par le travail ? Un bourreau de vous-même ? Un rêveur ?

J.P : Un guerrier pacifique rêveur. Je ne suis pas un artiste qui aime souffrir, j’ai besoin de paix, d’amour, de rire, c’est comme ça que je suis la meilleure version de moi-même. Je m’aime au plus haut point, à savoir je connais mes défauts et mes qualités – et je suis loin d’être le meilleur – et j’aimerais que sur Terre tout le monde s’aime au plus haut point. Il y aurait moins de cette frustration responsable de la jalousie, de la violence, de la convoitise. J’aimerais m’aimer aussi fort que mes parents m’aiment. Inconditionnellement. J’ai l’impression que rien ne pourra changer leur amour pour moi. Je n’ai pas d’enfant, mais je suis témoin de leur amour pour moi. Aussi, mon art n’est pas prioritaire, mais il aère, il distrait. Pour moi, les artistes sont des soupapes de dépressurisation.

Vous tenez le rôle principal dans la série Othello que vous avez écrite. Vous y êtes un ancien agent spécial un peu spécial qui revient aux affaires…

J.P : Cette série est inspirée d’Othello, la tragédie de William Shakespeare. Et qui dit Othello dit Desdémone, sa femme. Dans ma série, Othello, ancien des Forces spéciales, est accusé du meurtre de sa femme. Il perd toutes ses accréditations pour exercer, mais il est réhabilité à la suite de meurtres en série et d’un kidnapping d’enfant et reforme son contingent d’hommes. Mais il veut avant tout retrouver le meurtrier de sa femme. Parce que ce n’est pas lui.

L’idée vous est venue il y a longtemps ?

J.P : Non, mais j’avais travaillé le monologue d’Othello dans la pièce de Shakespeare en français pour le présenter à des casteurs il y a 12 ans. Parce que le personnage est haut en couleurs et a été joué par de nombreux acteurs de renom. Un client a montré le monologue à des agences artistiques de Los Angeles et de New York et elles ont voulu que j’envoie une vidéo en anglais. Je me suis alors posé la question : qui serait Othello aujourd’hui ? J’ai fait une vidéo avec mon personnage moderne en plus du monologue en anglais et j’ai envoyé le tout aux Américains qui m’ont invité à venir les rencontrer en juin prochain.

Sur la scène du théâtre à l’italienne de Bagnères-de-Luchon.

Mais avant cette rencontre avec les Américains, vous avez choisi d’organiser une avant-première à Toulouse…

J.P : Oui, je présenterai la bande-annonce et le premier épisode de la série dans une salle de cinéma toulousaine le 22 avril prochain. Je suis chauvin ! La France est un pays extraordinaire. Je n’ai pas vraiment de fascination pour les Etats-Unis, mais je présenterai ensuite le tout à New York en juin.

Cet Othello vous ressemble ?

J.P : Non, pas du tout. Il a des méthodes expéditives. Je n’y connais pas grand-chose au militaire et j’ai confiance en la justice. Lui, non.

« Je ne suis pas un artiste qui aime souffrir. »

Qu’est-ce que vous changeriez de la société actuelle ?

J.P : Dans cette société me manque la bienveillance, la vraie, celle qui est nimbée d’amour, de respect, de l’oubli de soi pour aider l’autre, et l’humilité.

A quoi rêvez-vous ?

J.P : Personnellement, j’aimerais que mes proches soient immortels. C’est insupportable de penser que parce que c’est dans l’ordre des choses, je vais être amené à dire au-revoir à mes parents. Je rêve que cela continue. Professionnellement, rencontrer Denzel Washington. Et je le rencontrerai. Parce que c’est avec lui que tout a commencé… J’appellerai alors mon père pour le lui dire et il sera plus heureux que moi. Je le sais.

Photos Jimmy Pagneux production

www.jimmypagneuxproduction-pcc.com/biographies

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Interview réalisé par Carine HAHN.