La ménopause concerne 12 millions de femmes en France. Pendant des siècles, pour celles qui l’atteignaient, cette étape naturelle de la vie était synonyme de péremption et de mise au rebut. Reléguées qu’elles étaient au mieux à leur statut de grand-mères. Mais aujourd’hui, malgré les bouleversements physiques et psychologiques traversés, les femmes sont de plus en plus nombreuses à se sentir libérées et à voir l’opportunité de se (re)découvrir. Pour vivre pleinement une deuxième vie.
Dans la culture japonaise, la ménopause est décrite poétiquement comme le second printemps des femmes. Une métaphore intéressante, car n’est-ce pas au printemps que l’on fait le grand ménage pour se débarrasser de ce qui ne convient plus et entrer dans une période nouvelle ? N’en déplaise aux prédicateurs de « symptômes » qu’elle montrerait avant d’arriver et de s’épanouir, cette « saison » n’est pas une maladie, mais une étape naturelle de la vie qui concerne toutes les femmes – généralement aux alentours de 50 ans – et signifie avant tout que leurs règles s’arrêtent alors définitivement. Sur le plan clinique, la ménopause est en effet habituellement confirmée après 12 mois consécutifs d’arrêt des règles, intervenant en moyenne vers 51 ans. Ce n’est d’ailleurs qu’après cette période que le médecin pourra pratiquer un vrai bilan hormonal de sa patiente et, si besoin, lui prescrire un traitement (TMH) pour soulager ses désagréments.
Un corps en mutation
Ce qui n’empêche pas ladite saison de faire chuter les hormones et donc de bouleverser le corps, qui ne répond plus comme avant. Car qui dit ménopause dit avant tout transformation physiologique. Mais toutes les femmes ne sont pas égales. Comme elles ont pu déjà le constater lors de leur puberté ou de leur maternité.
Certes, pour la majorité d’entre elles, il y a les fameuses bouffées de chaleur et les sautes d’humeur, mais pour d’autres, il y a aussi la dépression, les troubles du sommeil, la fatigue, les acouphènes, la prise de poids, la sécheresse vaginale, la baisse de libido… On compte en tout une soixantaine de signes (lire l’encadré page 6) qui se manifestent déjà bien avant la ménopause en elle-même, pendant la période dite de périménopause. Souvent aux alentours de 45 ans.
D’où l’importance pour les femmes d’en parler, de s’informer auprès de leur médecin – gynécologue de préférence – et de se préparer le plus tôt possible pour un « printemps » qui peut s’annoncer à la fois froid et pluvieux, tout comme chaud et ensoleillé. A tel point que la concernée se sentira souvent comme une chrysalide.
Une question de santé publique
Qu’elle soit amenée à prendre un traitement hormonal ou pas, il est important que la femme se montre plus à l’écoute d’elle-même et de son corps pour s’enquérir des signes que ce dernier peut montrer et de l’hygiène de vie qu’elle se doit d’adopter -si elle ne l’a pas déjà fait- pour le maintenir dans l’équilibre et la santé (arrêter de fumer, reprendre une activité physique, avoir une alimentation équilibrée). Car, il s’agit d’avoir surtout de bonnes habitudes de vie pour maintenir son équilibre mental, physique et énergétique. Et ceci au moins dès 40 ans (si cela n’est pas le cas déjà auparavant). D’ailleurs, beaucoup de médecins et d’associations se battent aujourd’hui pour qu’une consultation obligatoire soit mise en place et remboursée par l’Assurance Maladie à partir de 40 ans. Il y a là enjeu de santé publique. Car, même si la ménopause n’est pas une maladie, la carence oestrogénique – qui caractérise l’arrêt de l’activité des ovaires – peut chez les femmes les plus à risque favoriser l’émergence ou l’aggravation du risque cardio-vasculaire et d’ostéoporose. Et les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité chez les femmes de plus de 50 ans.
Une femme libérée
Mais la ménopause ne condamne pas à la prise de poids et à la déprime. N’en déplaise aux adeptes de clichés persistants. D’autant plus qu’elle montre, il faut en convenir, aussi beaucoup de points positifs. Finies les règles douloureuses pour certaines, finies les règles abondantes débordantes pour d’autres, finies les règles tout court, finies aussi les périodes prémenstruelles délicates accompagnées de maux de ventre, de migraines carabinées, d’états nauséeux et de moral dans les chaussettes. Quand on ne veut plus d’enfant, la ménopause est aussi synonyme d’arrêt de la contraception (pilule, stérilet ou technique d’observation de son cycle avec la méthode des températures), souvent vécue comme une contrainte.
Et puis, pour beaucoup de femmes, la ménopause rime aussi avec la fin des contingences de la vie de famille au quotidien et notamment celle liées aux enfants. Car ces derniers, devenus grands, sont sur le point de quitter la maison pour faire des études ou commencer leur vie professionnelle ou sont déjà partis.
Avec l’allongement de la vie, une femme d’aujourd’hui va passer quasiment autant de temps en période reproductive qu’en période ménopausée. Aussi est-il important pour elle qu’elle ose en parler de manière positive et sans honte, pour dédramatiser ce qu’elle traverse et le transformer. En Afrique, la femme ménopausée est une femme puissante. Tel le phénix, y dit-on, elle renaît alors de ses cendres. Comme au Japon, on y parle là-bas aussi de nouveau départ. A bonnes entendeurs.
Dr Christelle Besnard-Charvet,
gynécologue-obstétricienne
« Tout se joue pendant la périménopause »
Qu’est-ce qui a changé chez les femmes dans leur approche de la ménopause ?
Christelle Besnard-Charvet : Elles n’ont plus envie de subir des symptômes comme les bouffées de chaleur, mais elles refusent de prendre le traitement hormonal que je leur conseille. Ce que je trouve paradoxal. Elles voudraient du naturel, de l’homéopathie, mais on ne peut pas ne plus avoir de bouffées de chaleur en une semaine sans prendre d’hormones. Ce n’est pas possible. J’ai connu une époque où les femmes ne se plaignaient de rien et où on leur imposait systématiquement un traitement hormonal de la ménopause pour prévenir l’ostéoporose. Jusqu’à la publication de l’étude de la WHI (Women Health Initiative) en 2005 qui montrait que ce dernier pouvait augmenter le risque de cancer du sein et de maladies cardio-vasculaires.
Est-on dans une période de transition sociétale sur le sujet de la ménopause ?
C.B-C : Oui, ce qui va émerger de ça c’est la prévention, parce qu’on sait qu’on vit mieux la ménopause quand on l’a préparée en limitant les facteurs de risque d’une ménopause pathologique. Pour moi, il y a deux types de ménopause : une ménopause physiologique avec des femmes à bas risque qui n’ont pas d’intoxication tabagique et une hygiène de vie correcte – et peut être une prédisposition génétique positive – et 10% de femmes qui ont une ménopause pathologique pour qui l’absence d’hormones va provoquer des symptômes majeurs. Or, on mélange ces deux types. Et pour le premier type, la prévention est fondamentale. La patiente doit devenir actrice de sa santé. Adopter une bonne hygiène de vie, et ceci dans les dix ans qui précèdent la ménopause. Le fait de ne pas fumer diminue l’âge de la ménopause de trois ans. Fumer majore les symptômes
comme les bouffées de chaleur.
Faut-il aussi mieux accompagner les médecins ?
C.B-C : Oui, à la prise en charge globale du patient en général, à une médecine prédictive. Il faudrait que nous puissions lui faire une consultation à 20 ans qui permettrait de le conseiller, en fonction de ses antécédents personnels et familiaux, par exemple. On parle beaucoup de l’étude des gènes, mais comment vit-on avec une épée de Damoclès qui vous dit que vous allez faire une maladie dégénérative ? C’est horrible. Ce n’est pas de cette médecine prédictive qu’il s’agit.
Cette médecine préventive existe notamment pour des femmes dont le terrain familial les met en risque de développer un cancer du sein ?
C.B-C : Oui, mais la solution pour ces femmes n’est pas bonne. On leur dit : on va vous enlever les deux seins et les deux ovaires et vous ne ferez pas de cancer. Mais elles peuvent faire un cancer sur leurs cicatrices. Nous avons toujours des solutions chirurgicales et médicamenteuses, alors que l’hygiène de vie est primordiale dans tous les cancers. 40% d’entre eux sont évitables ainsi. Ce serait donc une médecine plus proche de la médecine chinoise que de la médecine occidentale ? Je ne souhaite pas qu’on en arrive à ça en France, parce que les médecins ne gagneraient pas grand-chose. Mais les gens ne sont pas idiots. Si on apprenait aux enfants, aux petites filles et aux petits garçons, comment ils sont faits. S’ils comprenaient tôt comment fonctionnent leurs poumons, par exemple, ils ne fumeraient pas. Pour la ménopause, c’est la même chose. Je vois des femmes de 50 ans hypercérébrées, cultivées, qui ne savent pas comment elles sont faites et ce qu’est la ménopause. Si à 20 ans, on leur avait dit ce qui les attendait tout au long de leur vie de femme, elles auraient entendu que cela se prépare. Tout se joue pendant la périménopause. Environ dix ans avant la ménopause.
Que se passe-t-il alors ?
C.B-C : Pour commencer, personne n’avait prévu que nous vivrions aussi longtemps, et aussi longtemps après la ménopause. Avant, les femmes mouraient avant et à l’âge de la ménopause. Nous avons des hormones dans tous nos organes et, à cette étape-là, il faut que ces derniers apprennent à fonctionner sans hormones. On passe du super au gasoil. Dans la périménopause, l’organisme va s’habituer progressivement à fonctionner avec un dérèglement hormonal et les organes vont faire avec. On va avoir, par exemple, une diminution du métabolisme de base, à savoir que pour que le cœur batte, par exemple, l’organisme va consommer moins de calories. Si on ne change rien à sa vie, on va donc, prendre du poids. Il va donc falloir obligatoirement manger mieux et bouger plus ! A partir de 40 ans, il faut avoir un mode de vie antiinflammatoire, ancré sur le trépied alimentation anti-inflammatoire – autrement dit un régime méditerranéen – activité physique régulière et gestion du stress. Il est essentiel de faire des efforts pour réduire la sédentarité, encouragée par la période COVID. Ce mode de vie va diminuer aussi les risques cardio-vasculaires et de cancer. Le mieux vieillir commence très tôt, bien avant 50 ans. Aux femmes qui me disent qu’elles ne veulent pas vieillir, je réponds que ce n’est pas possible, mais qu’il est possible de mieux vieillir. La ménopause touche toutes les femmes alors que l’andropause ne concerne que 20% des hommes.
Mais est-ce une fatalité d’avoir des bouffées de chaleur ?
C.B-C : Les bouffées de chaleur concernent quasiment toutes les femmes, mais leur ressenti est différent. Tout dépend aussi de ce qu’elles vivent dans leur vie quand la ménopause arrive. Les bouffées de chaleur, c’est un radiateur mal réglé. Toutes les émotions vont déclencher une montée en chaleur. Plus on a une vie zen, mieux c’est.
Est-ce que cela dépend de la façon dont on appréhende les différentes étapes de sa vie de femme ?
C.B-C : Oui, mais il y a aussi des facteurs génétiques et hormonaux. Pour certaines femmes, les variations hormonales sont très difficiles à vivre. Pour d’autres, beaucoup moins, voire pas du tout. Dans toutes les pathologies, il y a un peu de génétique et beaucoup d’environnemental. Nous vivons dans une société qui crée des facteurs de risque : le tabac, la malbouffe, la sédentarité… C’est pour cela que la ménopause est mal vécue.
Le traitement hormonal est-il une bonne solution pour les femmes avec de forts symptômes ?
C.B-C : Oui. Il vaut mieux prendre un traitement hormonal que des antidépresseurs parce qu’on a des troubles de l’humeur et de la tristesse. D’autant plus que le traitement prévient l’ostéoporose. Je ne le prescris pas pour cela, mais c’est un de ses effets bénéfiques ; je le prescris aux femmes qui ont des symptômes importants qui altèrent leur qualité de vie. Parce qu’il amène des hormones dans tout le corps et que tout va mieux fonctionner. Mais comme l’organisme a été prévu pour vivre sans hormones après 50 ans, cela peut créer un risque de cancer du sein, qui est alors augmenté de 1,2%. Parce que la glande mammaire n’a pas été prévue pour aussi longtemps. Mais il n’y a pas de surrisque de cancer, car, en France, le traitement est faiblement dosé. Avant de le prescrire, je laisse un an après le début de la ménopause pour voir ce qui se passe chez la patiente et dans son hygiène de vie. Cela concerne maintenant 10% des femmes. J’espère qu’on va réhabiliter le traitement hormonal pour les femmes qui traversent des caps difficiles, à certaines périodes de leur ménopause. Et ce serait bien qu’elles puissent y réfléchir pendant la périménopause.
La ménopause peut-elle être le début d’une nouvelle vie ?
C.B-C : Oui. La ménopause n’est pas une fin, mais bien plutôt un début. C’est quand même sympa de ne pas avoir ses règles et de ne plus prendre de contraception. D’ailleurs, il faudrait que les marques de sous-vêtements et d’habillement fassent des efforts pour accompagner les femmes ménopausées. Il est temps de leur proposer des soutien-gorge adaptés à leurs seins qui s’arrondissent (la glande mammaire est remplacée par de la graisse) et des vêtements avec de petits élastiques qui s’ajustent aux évolutions de leur silhouette. Parce que la femme ménopausée prend un peu de taille, même quand elle ne prend pas de poids ; sa masse graisseuse est répartie différemment. N’en déplaise à ceux qui continuent de considérer que les femmes doivent avoir la même silhouette tout au long de leur vie.
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Un dossier réalisé par Carine Hahn.