1. Un essai passionnant et sensible
« Risquer sa vie » est l’une des plus belles expressions de notre langue. Avec cette phrase à la première page de son essai, la philosophe et psychanalyste Anne Dufourmantelle écrivait tout de son engagement. Dans la vie et pour la vie. Pour le désir et l’inconnu qui en font le sel. Tout au long de son Eloge du risque, elle fait bien plutôt l’éloge de la prise de risque. La question qu’elle y pose : qu’est-ce que risquer sa vie, à savoir prendre le risque de vivre ?
Après avoir installé le décor de l’époque anxiogène dans laquelle nous vivons, celle-là même où la sécurité nous est donnée pour valeur principale, où l’exacerbation des peurs de toutes sortes et la servitude volontaire sont encouragées, elle entre dans les lieux où le risque se rencontre : la vie amoureuse, la séparation, la dépendance, mais aussi le langage, les biotechnologies ou encore la vie sociale. En fine observatrice, elle les explore dans de courts chapitres. Intenses et prompts à nous pousser à réfléchir. Tout au long de son ouvrage, elle n’a de cesse en fait de commenter la célèbre phrase du poète allemand Hölderlin : « Là où croit le péril, croît aussi ce qui sauve » pour affirmer que ce temps du risque – celui des résistants – serait le contraire miraculeux de la névrose. Prendre le risque d’aimer, de vivre afin de s’extirper de toute dépendance… Là serait pour nous l’essentiel de toute forme d’éthique.
Anne Dufourmantelle aura eu le courage de se saisir du poème d’Hölderlin jusque dans sa mort tragique le 21 juillet 2017 sur la plage de Pampelonne, près de Ramatuelle (Var), en portant secours au fils d’une de ses amies, âgé de dix ans, qui était en train de se noyer. Au cours de ce sauvetage, elle a succombé à un arrêt cardiaque. Elle avait 53 ans. Elle a laissé une oeuvre importante et essentielle.
2. Capter le merveilleux du monde
L’écrivain Sylvain Tesson, désespérément voyageur, s’est donné trois mois pour relier en voilier – avec deux amis au parcours de vie aussi escarpé que le sien – les promontoires de Galice, Bretagne, Cornouailles, du pays de Galles, de l’île de Man, de l’Irlande et de l’Ecosse. L’occasion pour l’homme de vivre trois fois plus. A l’accostage pour marcher le long des falaises et dans la lande, toute colorée par la bruyère et le genêt, à bord du bateau pour écrire dans son carnet ce qu’il a vu, rencontré, observé, ressenti, et, en mer, à tenir bon son quart ou à partager les joies de l’amitié autour d’un verre et un cigare en regardant le ciel du pont ou en parlant littérature dans le carré…
Cette fois-ci, l’écrivain, qui n’a de cesse de se ressourcer de notre « monde de banquiers et de machines » en le quittant, est parti capter le merveilleux d’un autre monde, le vrai, tout fait de nature forte, celui qui échappe encore – un peu – à la modernité. « Le mot fée signifie autre chose. C’est une qualité du réel révélée par une disposition du regard. Il y a une façon d’attraper le monde et d’y déceler le miracle », écrit-il. A le lire à chacun de ses chapitres, qui sont autant d’escales d’un très beau voyage chez les Celtes, on se dit qu’il a bel et bien réussi à rencontrer les fées. Ce récit est un bijou de poésie à la fois joyeuse, jouissive et mélancolique.
Une rubrique réalisée par Carine HAHN.