Wojtek, de la marge à la scène

28 mai 2024
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Elevé en banlieue parisienne dans une famille fragile d’origine polonaise, Wojtek, 43 ans, s’est souvent frayé un chemin seul. Dans le monde du travail à découvert, mais aussi au black. Avant de se frotter aux grandes scènes du rap et à d’impressionnants adversaires avec des textes forts et percutants et remporter quatre titres de numéro 1 de rap contender. Celui que l’on appelle dans le milieu le marteau piqueur, toujours en introspection, n’a pas dit son dernier mot. Il peaufine son premier spectacle. Cette fois-ci, face au public.

Comment qualifiez-vous votre enfance ?
J’ai eu plusieurs enfances. Une enfance routinière, naïve, pendant laquelle j’étais plutôt dans le déni. Et une grande enfance, vers 13-14 ans, pendant laquelle le voile s’est levé sur mes parents, ma famille. Je suis né en Pologne, j’avais deux ans et neuf mois quand je suis arrivé en France. Je suis un fils d’immigrés avec une enfance populaire dans un quartier populaire, le Louvray, à Pontoise, dans le Val d’Oise. Petit, je partage mon temps entre le football sur le parking, le vélo, la maison de quartier et les dessins animés à la télé. J’ai une maman qui m’aime beaucoup, un papa assez froid, un Polonais des années 1950. Pas le papa le plus empathique. Je suis très bon élève, le meilleur de ma classe.
Mes parents se sont rencontrés dans une imprimerie d’où sortaient les journaux de Solidarnosc. A l’époque, mon père était impliqué et a eu des démêlés avec la justice ; il est alors parti pour la France. J’avais deux mois. A vrai dire, cela l’a bien arrangé de quitter ses obligations familiales parce que c’était un coureur. Entre autres. J’ai une sœur un peu plus âgée, mais elle comme moi, nous sommes des enfants accidentels. Je le comprendrai en grandissant. Le mariage de mes parents n’était pas un mariage d’amour. D’ailleurs, ma mère est restée seule deux ans et sept mois avec deux jeunes enfants avant de rejoindre mon père dans le cadre du regroupement familial. Nous avons été hébergés par d’autres Polonais, avant d’obtenir un appartement au Louvray où je ferai toute ma scolarité. J’ai eu la chance de commencer la maternelle juste après notre arrivée et d’apprendre de suite le français.

Que voulez-vous dire par le voile s’est levé vers 13-14 ans ?
A 13-14 ans, les antidépresseurs et l’alcool entrent dans ma famille et dévorent mes parents. L’harmonie apparente du foyer laisse place au manque manifeste d’amour ; le couple commence à s’effriter. Ma soeur et moi avions grandi, nous étions plus indépendants et nous ne pouvions plus être leurs garde-fous. Ma mère a sans doute réalisé alors qu’elle était loin de tous et qu’elle n’était pas obligatoirement heureuse.
Mon père a fait des formations de dessin sur Autocad et dessinait des lignes de chemins de fer. Ma mère travaillait dans un supermarché et a été ensuite hôtesse d’accueil à l’hôpital. Et puis, ses addictions ont fait qu’elle a perdu son boulot. Ça fait pas loin de vingt ans maintenant qu’elle ne travaille plus.

« Ce n’était vraiment pas un milieu propice à l’épanouissement personnel. »

Que ressentiez-vous dans ce milieu familial insécure ?
En fait, chaque jour, en rentrant de l’école, j’espérais juste que ma mère aille bien. J’avais peur de mon père, parce qu’il était un peu comme un policier à la maison, une présence passive. Sa seule responsabilité vis-à-vis de moi résidait dans son obligation de me loger, de me nourrir et de m’envoyer à l’école. Ce n’était vraiment pas un milieu propice à l’épanouissement personnel.

Wojtek au cabaret sauvage.

Rêviez-vous d’une autre vie ?
Je jalousais la routine des autres, aussi simple était-elle. Un foyer où il se passait des choses. Je crois que le philosophe Vincent Cespedes dit que l’ambition naît de notre impuissance et de notre culpabilité à aider quelqu’un. Mon père me tombait dessus et ma mère prenait ma défense. Alors, parce que j’étais jeune, j’avais tendance à croire que c’était à cause de moi. Qui plus avec le catéchisme… Les Polonais sont très croyants et, souvent, tu as pêché même quand tu n’as rien fait. Je n’ai compris que plus tard que quand ça ne va pas dans un couple l’enfant peut servir de prétexte. Mais j’ai ainsi été vertueux pendant très longtemps en pensant qu’il y avait une justice invisible. Ce n’était pas pour aller bien, mais simplement pour que cela n’aille pas plus mal.

Est-ce pour cela que vous étiez toujours premier à l’école ?
J’ai une bonne mémoire, de bonnes ressources intellectuelles, je comprenais vite, je retenais… C’était naturel, je ne faisais pas vraiment d’efforts. D’où le fait que je développais un syndrome de l’imposteur. Je m’accrochais à ça aussi parce que cela n’aggravait pas mon cas.
A l’adolescence, j’ai décroché… Je me suis mis dans la moyenne et je suis devenu moins discret. Parce que quand on est premier de la classe, on devient une entité autre. On est vu comme le fayot, le chouchou… Et on comprend que quand on est le premier, on devient un numéro en fait. Comme si on était coupable d’être premier, d’être pas comme les autres.
En cinquième, les profs ont commencé à écrire sur mon carnet : capacités non exploitées. Et en troisième, ils m’ont fait redoubler pour me punir. Parce que j’avais largement de quoi passer en seconde, mais ils étaient tellement déçus par moi. J’avais fait une demande pour aller en bac F12, un bac d’arts plastiques, mais ils ne l’avaient pas appuyée. Ils disaient que je n’avais pas un profil artistique. Parce que j’étais bon en maths, ils voulaient absolument que je fasse une seconde scientifique. Cela ne m’allait pas et j’ai donc redoublé ma troisième.

Quel a été ensuite votre parcours scolaire ?
Je suis parti faire un BEP Vente Action marchande en alternance parce que j’avais envie de m’évader et de me faire un peu d’argent. A 17 ans, mon employeur m’a proposé de m’embaucher et j’ai lâché l’école. J’ai travaillé chez un traiteur de luxe à Paris, au Prestige, avenue de la Grande armée. A l’époque, cette entreprise avait 15 boutiques et faisait un chiffre d’affaires impressionnant. Ça a été une renaissance pour moi ! Je suis passé de mon quartier populaire aux beaux quartiers de Paris. Nous étions une soixantaine de personnes, dont des mecs comme moi qui s’habillaient en baskets, survets, des mecs de banlieue, et qui, malgré tout, étaient bons dans ce qu’ils faisaient.

Le cadre exigeant de la restauration vous a sauvé ?
L’avantage quand t’es jeune, c’est que t’es deux fois plus félicité quand tu fais bien. J’étais le premier vendeur à 18 ans seulement. C’était grisant. J’étais un peu le jeune prodige, parce que je redevenais le premier de la classe. J’aimais ce que je faisais, donc je m’impliquais. Cela m’a donné de la valeur.

Quand le rap entre-t-il dans votre vie ?
Je me fais muter dans une nouvelle boutique, mais au bout d’un an, je dois démissionner parce que je ne supporte pas la nouvelle directrice. Je me fais embaucher par Lenôtre, le concurrent. J’y bosse deux mois, et là, mon ancien directeur vient me débaucher pour travailler dans une nouvelle boutique à Neuilly. C’est là que je rencontre deux cuisiniers avec qui je commence dans le rap. Je faisais déjà un peu de musique, mais je trouvais que les textes des rapeurs ne tenaient pas la route.
Alors j’ai commencé à écrire mes premiers textes de rap vers 19 ans. On finissait nos journées le plus tôt possible et on rentrait pour enregistrer des tas de chansons. On a expérimenté ça pendant deux ou trois ans. Les deux cuisiniers, qui travaillaient dans une restauration très normée, renouaient avec leur créativité en faisant du rap avec moi. Ils m’ont vraiment porté, mais eux ont laissé tomber ensuite.

Quand montez-vous sur scène pour la première fois ?
Dans un petit concert de rap street à Cergy. Mon rap a un style différent, je pense. J’ai alors des retours positifs de gens plus avancés que moi et cela me pousse à continuer. Je me suis retrouvé seul, je me suis concentré sur les textes et j’ai cherché des mecs qui faisaient de la musique.
Une copine m’a amené sur une scène ouverte de rap, mais je n’ai pas tout de suite accroché. Alors j’ai bossé et bossé encore. Ce n’est que vers 25/26 ans sur des scènes slaves, où il y avait des gens de tous les âges, que je me suis rendu compte que mes textes étaient pour des initiés. Cela a recadré mon écriture. J’ai réalisé que plutôt que de parler de la galère au quartier, de parler cru et vulgaire et d’emmerder tout le monde, il fallait parler de l’ennui avec un grand E et que là, ça allait intéresser plus de monde. J’ai élargi ma cible, parce que je voulais de l’attention… Il m’a fallu pas mal de temps pour me remettre en question avant de devenir un poète mémorable (!)

« J’étais vraiment en marge jusqu’à 2011 : que du cash, pas de papiers d’identité, pas de CV… J’étais dans un monde parallèle. »

Vous travailliez en parallèle de la musique ?
Oui, jusqu’à 25 ans. Et puis, j’ai basculé dans le monde du travail au black. J’étais vraiment en marge jusqu’à 2011 : que du cash, pas de papiers d’identité, pas de CV… J’étais dans un monde parallèle. Celui qui existe aussi dans le pointillé… Aussi bien pour acheter un permis de conduire que pour avoir un appartement. Mais comme dit souvent un ami, on avait beau être en marge, on était sur la page quand même. Je suis tombé sur les mauvaises personnes, des mecs qui avaient des boîtes, mais qui étaient aussi des magouilleurs. Un de mes patrons a fait quand même de la prison pour fraude fiscale et pas mal d’autres trucs… C’était la main qui me nourrissait, qui me formait, qui m’invitait au resto… Il me faisait rencontrer des directeurs de centres commerciaux, il m’envoyait avec trois ou quatre gars pour superviser des montages de chalets de Noël, il me demandait d’apporter des pots-de-vin à des directeurs régionaux qui ne déclaraient pas les marchés de Noël qu’ils organisaient dans leur centre commercial et s’encaissaient des 40 000 euros en les partageant avec les chefs de la sécurité et d’autres. Le bon élève a découvert qu’en montant dans la société, c’était pas mieux. Un autre voile se levait. Le monde n’est qu’une immense mascarade.

« J’ai vu le rap contender comme un tournoi : des rappeurs qui s’affrontent. »

Le dernier Rap contender auquel Wojtek a participé s’est tenu au Cabaret sauvage, salle de spectacles située dans le Parc de la Villette à Paris.

Comment arrivez-vous au rap contender ?
J’ai accompagné un ami, qui était déjà connu, à une compétition de rap contender. Et j’ai tout de suite voulu en être. J’ai aimé le côté puant ; les scènes slaves étaient plus convenues et utopistes. J’ai vu le rap contender comme un tournoi : des rappeurs qui s’affrontent. J’étais déjà un bon rappeur et là encore, je suis sorti du lot très facilement, parce que j’avais tout ce qu’il fallait pour ça. Loin du rap conscience -qui prônait la citoyenneté- et du rap slave utopiste, là je pouvais insulter les gens. J’avais trouvé ma scène. Celle-ci a accueilli mes deux faces : d’un côté ma violence et de l’autre, ma sensibilité. Et en plus, je ne renvoyais pas les codes du rapeur. Je suis arrivé boule à z, cuir noir, avec un look skin head. Et de battle en battle, je suis devenu l’un des plus forts, si ce n’est le plus fort.

Vous avez été quatre fois numéro un de rap contender ?
Oui, j’ai pris le titre des rap contenders 7, 9, 11 et 13. Et au 9, j’ai envoyé un vers à mon adversaire où figurait le mot marteau piqueur. A partir de là, on m’a surnommé le Marteau piqueur.

Est-ce que cela vous a rapporté de l’argent ?
Au début, je ne demandais même pas d’argent, parce que j’y prenais du plaisir. Cela me donnait de la consistance et de la reconnaissance. J’existais. J’avais des cachets symboliques. C’est un moyen pour se faire connaître pour plein de rappeurs et de sortir un CD. Alors j’ai aussi sorti un CD, mais je n’étais pas dans une approche lucrative. J’étais dans le thérapeutique en fait. Ça a été symbolique pour moi de voir mon CD à la FNAC, d’être arrivé là, malgré mon parcours, mais ce n’est pas quelque chose que j’ai développé.
A l’époque, je ne donnais pas de sens à ma vie, je n’aimais pas mon histoire, et tout d’un coup, les gens m’aimaient et me reconnaissaient. C’est tout. Je faisais des millions de vues sur les réseaux et, vu ma vie parallèle, je me suis même dit que j’allais m’attirer des problèmes.

« …sur scène, j’étais devenu un dictateur comme mon père, un mec apathique qui disait des choses qui ne se disent pas… j’ai toujours été passionné par l’ésotérique, la possibilité de transformer le plomb en or. Je voulais transformer ce que j’avais vécu. Sur scène, j’arrivais avec toute ma violence et les gens m’applaudissaient et m’aimaient. »

Qu’est-ce que le rap contender vous a apporté ?
En fait, sur scène, j’étais devenu un dictateur comme mon père, un mec apathique qui disait des choses qui ne se disent pas. Et puis, j’ai toujours été passionné par l’ésotérique, la possibilité de transformer le plomb en or. Je voulais transformer ce que j’avais vécu. Sur scène, j’arrivais avec toute ma violence et les gens m’applaudissaient et m’aimaient.

Qu’est-ce qui explique le succès du rap contender ?
C’est comme pour la télé réalité : le voyeurisme. Le public voit une personne sur scène être rabaissée et cela l’élève. Il peut se dire : « moi, je suis mieux ». En plus, il peut s’identifier à moi, parce que je n’ai pas la panoplie habituelle du rappeur. Je monte sur scène habillé comme dans la vie de tous les jours : un blond à lunettes avec un jean, un tee-shirt… Voilà l’ethos que je renvoie. Mais au bout de dix ans de succès, je me suis saboté et j’ai arrêté. Peut-être parce que j’avais pas encore trouvé ma mission de vie.

Qu’est-ce qui vous a ramené dans le monde des vivants comme vous dîtes ?
La vie de couple. J’ai rencontré ma compagne il y a 12 ans. J’avais 30 ans et je n’avais jamais rencontré l’amour avant. Avant, oui, j’avais eu des potes, des maîtresses, mais pas d’amour. Mon père s’est suicidé et, quand j’allais mal, le suicide était alors la seule option qui me passait par la tête.

Que faites-vous aujourd’hui ?
J’oscille entre l’entreprenariat, la vie d’artiste et la vie de famille. Maintenant, je veux perdurer. J’ai ma propre boîte, La belle histoire, pour écrire et transmettre. C’est ce que j’aime le plus faire aujourd’hui, transmettre. Je viens de préparer des lycéens à un concours d’éloquence, par exemple. J’ai l’impression que ça, ça a encore un impact sur eux, par rapport aux études. L’oralité et l’éloquence peuvent vraiment donner une seconde chance. Je peux en témoigner. Alors si je peux transmettre des compétences orales tout en m’acquittant de ma dette vers le bas…
Et puis, je vais reprendre mon spectacle Sa mère la grosse plume. J’avais déjà fait une quarantaine de représentations avant le COVID. Cela a été difficile de le relancer, mais je vais le jouer à nouveau bientôt. Maintenant, je suis sur scène avec un DJ pour mêler texte et musique.

Wojtek rap contender francais Le Mag différence séniors Héraclide Logement senior résidence sénior Rubrique le divan tout savoir sur le rap contender

Au Trabendo, salle de spectacle située
dans le Parc de la Villette à Paris.

 

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Une rubrique réalisée par Carine HAHN.